par Susan Wagg

Table des Matières

Remerciements

Avant-propos

1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7

Notes biographiques

Abréviations et Notes

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5 URBANISME

Nobbs, à l'instar des victoriens Pugin, Ruskin et Morris, ne considérait pas l'architecture comme un monde à part, mais comme une partie intégrante d'une entité plus large. S'il avait pour profession la pratique et l'enseignement de l'architecture, sa plus grande préoccupation tout au cours de sa carrière aura été l'urbanisme - la gestion et l'amélioration de l'environnement intégral de l'homme. Les réformateurs du XIXe siècle et du début du XXe siècle, en Amérique comme en Europe, ont attiré l'attention sur la dégradation accélérée de l'environne ment, tant dans les régions habitées que sauvages, et ont suscité un intérêt accru pour la planification des villes et des banlieues et la conservation. Bien que Nobbs ait partagé ces préoccupations avec d'innombrables contemporains, l'étendue et la portée de ses intérêts et de ses propositions, et l'énergie et la compétence qu'il consacra aux nombreux aspects de la planification étaient peu communes.

Le campus urbain circonscrit de McGill fut l'un des premiers problèmes de planification auxquels il s'attaqua peu après son arrivée au Canada. En novembre 1904, il devait choisir un site pour une nouvelle centrale électrique et il prépara un croquis illustrant des emplacements potentiels pour les bâtiments futurs sur le terrain et les propriétés contiguës (fig. 20). En fait, l'architecte se servait de cette proposition pour exposer-sa façon de concevoir la planification de l'université. "L'élaboration d'un plan précis pour l'enceinte du Collège", écrivait-il, "a été trop longtemps différée, et si l'on veut maximiser la valeur de ce qui reste des beaux sites à la disposition de l'Université, il faut, indépendamment de la question d'énergie électrique, formuler un plan d'expansion."1

Même si McGill se distinguait par une "masse anarchique et disparate" de bâtiments victoriens, elle disposait d'une imposante allée centrale menant au pavillon des Arts. Toutefois, des sentiers secondaires serpentaient le terrain, et Sir William Dawson, prédécesseur du principal Peterson et éminent spécialiste des sciences naturelles, avait parsemé avec pittoresque le campus de spécimens botaniques. Dans sa proposition de 1904, Nobbs notait avec une pointe d'ironie: "Les bouquets d'arbres inopinés, les sentiers sinueux et les pentes herbeuses sont très bien à leur place, sur l'autre flanc de la montagne. Le site d'une grande université mérite un traitement plus classique et plus digne."2 En conséquence, les plans de Nobbs commandaient un aménagement méthodique et symétrique du terrain en relation avec les axes principaux des bâtiments existants et à venir à l'intérieur du périmètre. En définitive, ce plan aurait fait du campus un site clos et tranquille au cœur du centre animé de Montréal. Le plaidoyer de l'architecte pour la préservation du pavillon des Arts vétusté, exprimé pour la première fois dans ce projet, émanait de son désir de conserver un beau bâtiment historique comme point central de sa composition.

Nobbs continua de dresser des plans pour le campus et son projet le plus ambitieux fut publié dans le McGill News au début des années 20 - années de croissance accélérée à l'université McGill.3 Mettant de côté sa retenue habituelle, il envisageait la construction d'un splendide centre d'assemblée à l'angle de la rue McTavish pour commémorer la fin de la guerre. Selon l'architecte, ce site avait été "courageusement acquis en 1909 pour empêcher le Ritz Carlton (l'hôtel) de faire du campus son arrière-cour."4 À côté de cet impressionnant édifice, l'architecte avait projeté de construire plus à l'est rue Sherbrooke un long immeuble de trois ou quatre étages percé d'un portail flanqué de tours qui viendrait clôturer le campus. Cette mesure était devenue prioritaire pour Nobbs depuis la construction en 1914 d'une tour d'habitation en face du campus. Outré ses plans pour la propriété principale de l'Université, Nobbs fournit le modèle et le design d'un vaste ensemble sportif et résidentiel pour le parc Macdonald (fig. 19), situé au nord de l'avenue des Pins et acheté en 1911 grâce à la clairvoyance de Sir William Macdonald. Même s'il jugeait qu'il "ne faut reculer devant aucun sacrifice pour que les bâtiments de McGill entre la rue Sherbrooke et l'avenue des Pins restent un ensemble homogène en calcaire"5, Nobbs opta pour des matériaux plus économiques, brique avec moulures de calcaire, car le site était assez éloigné du campus principal. Cet ambitieux projet ne vit malheureusement jamais le jour. Le stade Molson de Nobbs, élégant, brillamment situé et conçu à la manière du théâtre grec (l'ajout de sièges supplémentaires est venu détruire ses lignes et sa vue), avait été terminé avant la fin de la guerre, et les entrées ont permis la construction d'un vestiaire, érigé d'après ses plans en 1922. En fin de compte, aucun des projets d'aménagement de l'architecte n'a été réalisé selon ses vœux, mais les bâtiments individuels et les ajouts qu'il a exécutés pour McGill ont été pensés en fonction d'une harmonie notoirement absente auparavant.

En 1912, Nobbs fut officiellement engagé pour préparer un plan d'aménagement pour une nouvelle université canadienne, l'université d'Alberta à Edmonton, projet sur lequel il travailla étroitement avec le premier président, M. Henry Marshall Tory, un ancien collègue de McGill. Lors de l'érection du pavillon des Arts de McGill au début des années 1840, les terres qui allaient devenir la province de l'Alberta étaient habitées par des tribus indiennes éparses, des bisons et des trappeurs. En 1890 les colons avaient à peine commencé à arriver, mais en quinze ans la nouvelle province était née, et en 1906 on promulguait la loi créant l'université d'Alberta. En arrivant dans une Edmonton froide, humide et boueuse en 1908, M. Tory eut pour principale tâche de dresser les plans d'une université encore inexistante.6 Il s'assura le concours de Nobbs pour la première fois en août, un an après que le service des travaux publics de la province eut produit la première ébauche d'un premier bâtiment et un plan préliminaire très limité proposant l'emplacement d'un ensemble futur.7 Toutefois, le nouveau président voyait beaucoup plus loin; il demanda à Nobbs de lui conseiller le meilleur emplacement pour chaque partie du plan final qu'il envisageait et de recommander un site pour le pavillon des Arts projeté.

La planification de cette nouvelle université était une occasion en or d'éviter les problèmes auxquels faisaient souvent face les anciennes universités au Canada et aux États-Unis. Celles qui avaient entrepris une croissance rapide mais non planifiée au cours de l'ère victorienne manquaient maintenant d'homogénéité et d'espace pour s'agrandir - McGill en était un parfait exemple avec ses bâtiments construits au petit bonheur, consacrés à différentes disciplines et groupés autour d'un campus central. "Ainsi, lorsque la boucle est bouclée", écrivit Nobbs, "il faut remplir le centre, et cette nouvelle croissance donne à l'ensemble l'aspect d'une ménagerie et transforme l'institution en chantier de construction pendant les travaux."8

Pour l'université de l'Alberta, les deux hommes n'auraient pu rêver avoir plus d'espace libre à planifier. On avait acheté un terrain de deux mille pieds de largeur sur un mille de profondeur, et sa lisière nord était contiguë à la belle gorge de la North Saskatchewan River. Du côté opposé se trouvait le site du nouveau Parlement, qui allait être terminé en 1912.

Dans sa première étude du plan de l'université, Nobbs favorisait l'idée de diviser la superficie en plusieurs zones distinctes et de séparer la cité universitaire du secteur ouest des pavillons d'enseignement, qui eux seraient situés dans la partie est. Il ne souscrivait toutefois pas à la proposition de M. Tory qui voulait que ces bâtiments universitaires soient disposés de façon symétrique autour de cours ou de quadrilatères. "Les bâtiments jumelés", déclara-t-il avec fermeté, "ne constituent pas un ensemble architectural." De plus, son expérience à McGill lui avait appris que "les pavillons d'enseignement croissent, et croissent irrégulièrement.Un plan trop symétrique est gâché par des irrégularités qui ajoutent un charme certain à un agencement libre."9 Étant donné qu'accorder une égale importance à la façade et à l'arrière représentait une dépense inutile, Nobbs proposa d'aménager les pavillons d'enseignement sur leur lot de quarante-cinq acres en fonction des diverses disciplines de façon à ce qu'ils soient éventuellement agencés autour d'une cour centrale où des adjonctions peu coûteuses de type industriel pourraient être construites l'une après l'autre au besoin; étant cachées, elles ne viendraient pas gâcher l'aspect général du campus. Il proposa également, pour des raisons pratiques, de choisir avec soin le site des laboratoires scientifiques et des salles de dessin afin qu'ils puissent recevoir l'éclairage du nord et, si possible, aient une lucarne au nord; car, selon Nobbs, les laboratoires éclairés d'en haut sont plus agréables tout au long de l'année dans des climats marqués par de grandes fluctuations de température.10

À cette époque, Nobbs n'avait pas encore proposé de traitement stylistique particulier, son premier objectif étant d'établir les axes principaux et l'alignement de construction. Il recommanda d'imposants extérieurs et ensembles, suffisamment variés pour susciter l'intérêt, et insista pour que les bâtiments dominant le promontoire de la rivière au nord forment une composition particulièrement frappante. Il était d'avis que le pavillon des Arts serait le centre idéal de l'ensemble universitaire ayant façade vers le sud, face à une avenue principale qui traverserait le campus. L'architecte conclut son rapport en disant que pour l'instant, deux options s'offraient à l'Université: construire des bâtiments temporaires sur des emplacements non réservés ou bien effectuer une étude approfondie de la croissance projetée et ensuite amorcer graduellement la construction du plan final. Nobbs recommandait cette dernière solution, qui fut suivie pendant les vingt ans que M. Tory occupa son poste.

En septembre 1909, le Sénat adopta un plan d'ensemble modifié fondé sur les conseils de Nobbs, préparé par l'architecte de la province, A. M. Jeffers.11 Dans les trois années qui suivirent furent érigées deux résidences en brique conçues par Jeffers, les pavillons Athabaska et Assiniboia, et les fondations d'un pavillon des Arts en granit et en grès (œuvre de Jeffers également) furent jetées. Il devait être situé dans le périmètre est de l'ensemble universitaire projeté. La réduction des fonds provinciaux arrêta les travaux sur ce bâtiment, et en février 1912, les administrateurs se demandaient comment continuer avec les fonds limités dont ils disposaient.12 Pour assurer la survie de son plan à long terme, M. Tory fit encore une fois appel à Nobbs - cette fois avec la collaboration de Frank Darling (1850-1923), l'un des plus grands architectes du Canada.13 Nobbs avait réussi à intéresser Darling au projet, et croyait que sa participation serait un apport positif pour le plan. Darling avait travaillé en Angleterre au raffinement des projets sous la direction de G. E. Street à l'époque où les cours de justice de Londres étaient encore sur la table à dessin, et Nobbs l'admirait énormément pour sa compétence.14 En mai 1912, les administrateurs de l'université de l'Alberta invitèrent officiellement les deux hommes à "revoir le plan global des bâtiments et des terrains et à faire un rapport complet au conseil sur tout ce qui a trait aux bâtiments, à leur emplacement et à l'aménagement général du terrain."15 En août, les deux architectes se rendirent à Edmonton. Le plan global (fig. 22), la vue d'ensemble (fig. 21) et les ébauches générales dessinés alors par Nobbs avec l'aide de Darling comme architecte-conseil n'ont pas modifié fondamentalement les premières idées de Nobbs; ils les ont plutôt élaborées et épurées.16 Ainsi, divers points de mire ont été créés pour rehausser le caractère classique de l'ensemble et fournir des points de repère. Une grande cour de 300 pieds de large sur 1 200 pieds de long est née de la suggestion originale de Nobbs pour un parc boisé qui devait séparer la cité universitaire des bâtiments d'enseignement. Ce grand espace devait être fermé à la rivière par un centre d'assemblée monumental nettement visible de la rive opposée. Bien qu'il n'ait jamais été construit, ce bâtiment avait été conçu comme masse centrale de l'ensemble. Un autre point de repère ne fut jamais construit: une haute tour conçue à l'origine pour embellir le pavillon des Arts et ensuite repensée comme monument isolé pour le centre du quadrilatère universitaire. Comme dans le plan précédent, de grands espaces avaient été réservés à l'aménagement d'un ensemble sportif et récréatif au sud des résidences, d'une bibliothèque provinciale, d'un hôpital provincial, de collèges religieux affiliés, d'habitations pour le corps enseignant et enfin, d'une ferme expérimentale.

Au cours de leur visite les architectes conseillèrent "de différer un peu la construction du pavillon des Arts", puisqu'il devait constituer l'un des éléments les plus importants du plan final; et ils déconseillèrent vivement aux administrateurs de choisir le gothique collégial, en vogue pour les bâtiments universitaires.17 Malgré leur formation dans la tradition néo-gothique, Nobbs et Darling s'entendaient pour dire "que dans les Prairies au XXe siècle, le climat, les matériaux et la main-d'œuvre interdisaient l'emploi du style gothique collégial (à meneaux)."18 Ils proposèrent plutôt "un style classique libre et souple en accord avec des traditions anglaises modifiées", qui selon eux s'adaptait mieux à la fenestration et aux toitures locales plus fonctionnelles, et aux matériaux et au savoir-faire locaux.19 L'Alberta était le pays de la brique, et les premières résidences étaient en brique. Par conséquent, ils recommandèrent son utilisation avec des moulures de grès chamois pour tous les futurs bâtiments. Finalement, la firme de Nobbs fut chargée du design définitif d'un pavillon des Arts plus grand (fig. 23); et bien qu'au printemps de 1913 les administrateurs aient demandé à Nobbs et Hyde de repenser le design en fonction d'une pierre plus prestigieuse, ils se rendirent finalement aux vœux des architectes.20 Fidèle à lui-même, Nobbs utilisait la brique avec respect, et dans un article sur l'université il regrettait que les photos de détail en noir et blanc ne puissent montrer la riche mosaïque de couleurs, bien qu'elles donnent "une idée de l'excellente texture et de la fine exécution de l'appareillage anglais 'croisé' ou 'brisé'."21 Lorsqu'il en vint à dessiner le pavillon de médecine en 1919, il fut consterné d'apprendre la fermeture de la briqueterie Tregillis locale et se donna beaucoup de mal pour obtenir un substitut acceptable. La continuité dans l'utilisation de la brique aurait apporté au fil des années une homogénéité nécessaire au campus, mais on lui a finalement préféré des matériaux plus modernes.

Le traitement stylistique "classique, libre et souple" choisi pour le pavillon des Arts était rehaussé de formes baroques afin de créer une unité d'ensemble avec le Parlement de l'Alberta sur l'autre rive. Nobbs avait en fait mis la dernière main au design de ce dernier en 1907.22 Le pavillon des Arts était en cours de construction lorsqu'éclata la première guerre mondiale, et il fut terminé à la fin de 1915. De pair avec deux laboratoires de construction mécanique datant de la même époque et également conçus par Nobbs, le pavillon des Arts servit à l'enseignement de toutes les matières jusqu'à la fin de la guerre, au moment où commença la construction des parties centrales du pavillon de médecine, son dernier contrat pour l'Université. Malheureusement, les belles sculptures sur pierre que Nobbs dessina pour les deux bâtiments ne furent jamais exécutées, mais les blocs sont toujours en place. Cecil Burgess, un ami de Nobbs depuis son séjour à Edimbourg, avec qui il avait travaillé à Montréal avant de s'associer à Hyde, dirigea la construction de tous les bâtiments. En sa qualité d'architecte de l'Université, Burgess exécuta lui-même les autres commandes.

Conçue pour surpasser les anciennes institutions, l'université de l'Alberta à Edmonton finit par faire face aux mêmes problèmes que ces dernières: hétérogénéité et surpeuplement. Dans leur plan d'aménagement de 1912, les premiers planificateurs avaient proposé un type de bâtiment qui constituait à vrai dire un noyau autour duquel des agrandissements pourraient s'ajouter au gré des besoins. De plus, ils reconnaissaient qu'on pouvait éviter le problème du surpeuplement en ouvrant une autre université ailleurs dans la province quand s'épuiseraient les généreux lotissements. Pour l'époque, ce plan était prévoyant et souple, et le style des bâtiments était d'une grande flexibilité. Ces planificateurs du début du XXe siècle ne pouvaient cependant prévoir ni l'énorme croissance démographique, ni les mutations profondes qu'allait connaître le bâtiment dans les techniques de construction, les matériaux et les styles après la dernière guerre mondiale. L'Université ayant été dans la quasi impossibilité de se conformer à la lettre au plan d'aménagement après la guerre, c'est dans l'abandon de son esprit que réside sa véritable perte: une démarche humaniste accordant autant d'importance à l'aspect esthétique que pratique.

Nobbs n'a pas exercé ses talents de planificateur qu'à l'échelle universitaire. Lorsqu'il assuma la présidence du Town Planning Institute of Canada en 1928, on disait de lui qu'il était "le véritable chef de file du mouvement montréalais visant à assurer à Montréal un plan d'ensemble et une loi d'urbanisme efficace pour la province de Québec."23 Le premier mouvement de réforme à Montréal, auquel Nobbs prit une part très active, venait répondre à une foule de problèmes nés de l'évolution rapide de la ville en un haut lieu de la finance, de l'industrie et du transport au Canada. Et Montréal n'était pas la seule ville à souffrir de la croissance industrielle et de l'influx d'immigrants qui l'accompagnait. Entre 1881 et 1921, le Canada est passé d'une économie agricole à une économie principalement urbaine. Au début du XXe siècle, les mouvements d'urbanisme poussaient comme des champignons partout au pays, et à cause des liens étroits qui existaient avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, ils ont été fortement influencés par le City Beautiful Movement américain et le Garden City Movement britannique.24 Il va sans dire que Nobbs a subi l'influence des grands urbanistes anglais Ebenezer Howard et tout particulièrement Barry Parker et Raymond Unwin, dont les œuvres jetaient en pont entre le mouvement des Arts et Métiers et la planification urbaine.25 Les idées de ces réformateurs avaient commencé à se faire un chemin à l'époque où Nobbs était encore à Londres, et le service d'architecture du L.C.C. comptait parmi ceux qui ont le mieux contribué à les diffuser.26 L'influent Tomorrow: a Peaceful Path to Real Reform de Howard parut pour la première fois en 1898 et a mené à la formation de la Garden City Association (plus tard Garden City and Town Planning Association) l'année suivante. Le premier livre de Parker et Unwin, The Art of Building a Home, fut publié en 1901 et le tract fabien de Unwin, Cottage Plans and Commonsense, qui traitait du logement pour la classe ouvrière, parut en 1902, année où Joseph Rowntree embaucha Parker et Unwin pour la conception de son village industriel modèle de New Earswick, près de York. En 1903, Parker et Unwin commencèrent à préparer les plans de Letchworth, la première cité-jardin. Nobbs connaissait Unwin, qui était un fervent admirateur de Morris, et le consulta au sujet d'un lotissement modèle pour Montréal, et grâce à ses bons offices, le célèbre urbaniste a accepté de venir à Montréal pour y donner des conférences en 1934 et 1937.27

Dans ses propres écrits et conférences sur le sujet destinés aux professionnels et aux profanes, Nobbs soulignait que pour une bonne planification, art et sens commun allaient de pair. "Je suis convaincu", écrivait-il, "qu'un urbaniste qui n'est pas artiste n'a rien à offrir au monde."28 Et il ne faut pas croire, nota-t-il ailleurs, que les artistes sont "nécessairement des irréalistes qui se promènent la tête dans les nues."29 Affirmation qu'il illustra en comparant les résultats obtenus par Adam à Londres et à Edimbourg et par Rossi à Saint-Pétersbourg avec ceux des spéculateurs fonciers et des "experts à la manque" qui avaient dressé les plans de Montréal.30 Le côté pratique de Nobbs s'exprimait par un design très souple qui tentait d'améliorer l'acquis et d'éviter les erreurs coûteuses en puisant à la quintessence du passé et du présent. Ayant eu sous les yeux un urbanisme grandiose et classique à l'étranger, il en avait acquis une perspective urbanistique qui s'opposait à la ruralisation outrée incarnée par les réformes de Howard, bien qu'il réprouvât les fervents du City Beautiful qui selon lui étaient trop influencés par la grande manière et oubliaient les leçons du Moyen-Âge. À l'instar de ses contemporains Parker et Unwin, Nobbs cherchait un juste milieu entre le classique et le naturaliste. "La symétrie n'a aucun mérite à moins d'avoir un objet", fit-il remarquer en prenant pour exemple l'impitoyable trame carrée de Montréal, expédient des promoteurs immobiliers.31 Ce plan arbitraire était mauvais et absurde à tout point de vue. Les directions ou axes ont été déterminés par les anciennes limites des fermes sans tenir compte de l'ensoleillement - si important dans un climat nordique - et au mépris de la topographie naturelle de la ville, créant ainsi une indicible "usure des rues, des pneus et des chevaux pour aller de bas en haut." Tout en reconnaissant que ce n'était pas facile, il recommanda de briser cette trame par un réseau radial, des diagonales et des zones vertes bien situés et insista sur une meilleure planification des secteurs non aménagés. Enfin, sur le plan esthétique, la trame monotone privait les plus beaux monuments architecturaux de leur plein effet, car on n'avait fait aucun cas de leur emplacement. Les grands édifices avaient besoin de grands espaces.32

Les premiers articles de Nobbs dans le Canadian Architect and Builder parlaient souvent du fâcheux manque de planification dans la ville. Ainsi, il se demandait dans le numéro d'août 1904 pourquoi les deux plus importants édifices municipaux de Montréal, l'hôtel de Ville et le palais de Justice, tournaient le dos à un bel espace urbain, le Champ de Mars. "Qu'a donc fait la rue Craig?" demandait-il. "Faut-il que la Justice porte ses plus beaux atours en avant et ses loques dans le dos, qu'elle tourne irréductiblement au pauvre?"33 L'architecte se servit de ces premiers articles pour suggérer des solutions, et proposa entre autres de poser une carte à grande échelle de chaque ville de la province sur la table de l'Ordre des architectes du Québec (O.A.Q.) (dont il devint président en 1924) pour que lesmembres puissent échanger leurs idées sur l'aménagement urbain, non par simple divertissement, mais dans le but de lesmettre à exécution. Les associations architecturales, croyait-il,devaient à leurs concitoyens de débattre ces questions, maiscomment serait-ce possible dans un organisme "dont les membres se connaissent à peine et se contentent de travaillerchacun pour soi dans son coin."34 D'intérêts et de spécialisations diversifiés, les architectes auraient bien des choses à s'apprendre; en 1905, Nobbs recommanda donc au groupe de remplacer les réunions mensuelles par des réunions hebdomadaires. Pour encourager et former les jeunes étudiants en architecture de la ville, Nobbs proposa en avril 1905 de créer une société pour les jeunes architectes de Montréal qui devait bientôt devenir le Sketching Club de l'Ordre. Sur invitation de Nobbs, le cercle fit sa première sortie le 29 avril à la bibliothèque d'architecture de McGill, où les jeunes gens reçurent des billets d'entrée qui leur octroyaient des droits de lecture. Au printemps de l'année suivante, l'Ordre nomma un comité sur l'aménagement urbain sous la présidence de Nobbs afin d'établir des communications avec le conseil municipal et toutes les associations que le sujet intéressait. Dès la fin de la décennie, grâce à Nobbs et à d'autres citoyens animés d'un esprit civique, la Montréal City Improvement League était fondée. L'un des principaux objectifs de la ligue était de faire adopter un plan d'ensemble pour Montréal, ambition qui malheureusement ne s'est jamais réalisée malgré des années d'efforts.

La première guerre mondiale mit un frein aux travaux de planification de Nobbs, mais après la cessation des hostilités, il consacra encore plus de temps à ces questions. Lorsqu'il assuma la présidence du Town Planning Institute of Canada en 1928, le journal de l'institut décrivit en détail les efforts qu'exigeait cette cause:

Ce poste a exigé d'interminables conférences publiques, d'innombrables réunions de comités jour et nuit, l'organisation de groupes de citoyens, la collecte de fonds aux sources privées pour poursuivre la tâche, et entraîné des moments de découragement et de lassitude quand il semblait vain de soulever l'opinion publique à Montréal en faveur d'un programme de planification précis sans appui réel des autorités.35

Cette tâche ingrate qu'il a pris sur lui d'assumer et a consacrée à l'amélioration de la qualité de vie du riche comme du pauvre n'a pas, sauf en de rares exceptions, rempli la bourse de Nobbs, et s'est hélas soldée par un échec - à cause de l'indifférence tenace de l'administration municipale, qui prévaut d'ailleurs encore aujourd'hui.

Les années 20 ont marqué l'apogée des premiers efforts d'urbanisme partout au Canada avec l'adoption de règlements de zonage d'avant-garde et de lois d'urbanisme provinciales dont a pris bonne note le Journal of the Town Planning Institute of Canada, fondé en 1919. À Montréal, cette décennie fut témoin des efforts valeureux de la City Improvement League pour sensibiliser le public à la nécessité d'un plan d'ensemble. Le programme de 1926 de la ligue est éloquent: Montréal fut l'hôte de la sixième conférence annuelle du Town Planning Institute of Canada, deux remarquables séries de conférences publiques furent offertes en anglais et en français à McGill et à l'Université de Montréal respectivement, et l'urbanisme fut le thème de l'exposition annuelle organisée conjointement par l'O.A.Q. et la Art Association of Montréal.36

La ligue continua de faire pression auprès des gouvernements pour obtenir des lois d'urbanisme jusqu'en 1929 quand, découragée de progresser si lentement, elle soumit son propre projet de loi au gouvernement provincial: l'ébauche d'une loi d'urbanisme qui donnait aux régions urbaines le pouvoir de réglementer la hauteur des édifices, le zonage et la taille et l'espacement des bâtiments. Elle avait été rédigée par un comité spécial dirigé par Nobbs. En 1931, toutefois, Nobbs déclarait que même si toute l'Europe s'éveillait à l'urbanisme et que toutes les autres provinces du Canada s'étaient dotées d'une loi des cités et villes, la province de Québec "était de tous les états modernes le seul (...) à négliger d'adopter une législation valable en ce domaine."37 Montréal adopta finalement son premier règlement de zonage en 1929 pour fixer la hauteur des édifices, mais il n'y avait toujours pas de plan d'ensemble. Malgré le peu d'appui des autorités, Nobbs conçut plusieurs projets d'habitation modèle pendant la décennie, et chacun d'eux démontrait la valeur d'une planification intelligente, aspect que la plupart des promoteurs répugnaient à subventionner. Un ensemble complet (fig. 25) - tout en brique - se dresse encore du côté sud du Boulevard à Westmount (Québec) près de l'angle de Mt. Pleasant Avenue. Conçues pour des professionnels, les "travailleurs intellectuels", comme les appelait Nobbs, quatre maisons sur cinq sont jumelées. "Ces maisons", écrivait l'architecte, "peuvent être bâties et chauffées de façon plus économique sans rien perdre de leurs agréments si elles sont construites en groupes de trois, quatre ou cinq." Pour Nobbs, comme pour Parker et Unwin, ce qui comptait vraiment, c'était "de disposer ces maisons de façon à ce que toutes les pièces soient ensoleillées pendant une partie de la journée et ce, au meilleur moment selon leur usage particulier et que toutes les fenêtres offrent un spectacle agréable, les vues arrière étant à leur façon aussi belles que les vues avant."38 Nobbs croyait fermement que le soleil et la brise étaient aussi nécessaires aux personnes qu'aux plantes, et en conséquence, il maximisait les deux dans ses designs. En plaçant une faîtière au-dessus de la cage de l'escalier principal et des corridors, et les zones de service du côté du mur mitoyen, il a à toutes fins pratiques éliminé les désavantages de la maison jumelée, alors que la localisation, la forme et la finition des maisons qu'il a conçues sont planifiées de façon à ne pas choquer la vue. En 1928, Nobbs trouvait toujours discourtois de construire d'élégantes façades en pierre tandis que l'arrière et les murs latéraux en brique crue gâchaient la perspective des autres bâtiments du quartier. Il s'étonnait de voir les Montréalais qui ont beaucoup voyagé admirer les charmes urbains de l'Europe sans se demander comment ils ont été créés et comment on pourrait les reproduire chez soi.39 Une tour à bureaux que Nobbs dessinait à l'époque à Montréal, le Drummond Médical Building (1929), offre une finition soignée sur toutes ses faces.

Avec la Crise Nobbs et Hyde, comme la plupart des architectes, virent leur clientèle sensiblement réduite, mais Nobbs continua à œuvrer pour un environnement meilleur pour les citoyens de Montréal. En 1934, il dessina le plan d'un réseau métropolitain de parcs riverains, car à cette époque, les terrains étaient encore disponibles à bon compte. "Les plus humbles d'entre nous", écrivait-il, "devraient jouir de la beauté des bois, des eaux et des terrains de jeu, loin de la brique et du mortier de leur environnement quotidien, à moins d'un mille de leurs foyers. Les plages commerciales qu'ils ont commencé à fréquenter en si grand nombre ces dernières années sont le substitut sordide et navrant d'un réseau de parcs que toute communauté civilisée d'un million d'âmes peut considérer comme son droit."40 Cette proposition humanitaire et clairvoyante tomba encore une fois dans l'oreille d'un sourd.

En plus de l'intérêt pour les parcs, la Crise vit naître un intérêt marqué pour de meilleurs logements ouvriers. En 1934, un comité conjoint pour l'élimination des taudis et le relogement fut créé par la Chambre de commerce de Montréal et la City Improvement League sous la coprésidence de Guy Tombs et de Nobbs. Ils produisirent dans leur rapport des plans de Nobbs et Hyde pour des logements à prix modique, qu'avait révisés Unwin à la demande de Nobbs. Dans ce projet, les unités d'habitation sont aménagées de façon à ce que le salon et la salle à manger soient l'un derrière l'autre pour assurer une aération et un ensoleillement adéquats, et chaque locataire a son jardin.41 Bien que la ligue ait réussi à intéresser au projet des industriels montréalais, une autre guerre mondiale occupa les esprits ailleurs. En 1945, Nobbs demandait toujours avec insistance l'adoption du projet, qui pourrait donner priorité aux vétérans.

Bien que la plupart des efforts de Nobbs se soient avérés inutiles, un service d'urbanisme fut finalement créé en 1941, et les services de Nobbs furent retenus comme expert-conseil. Il fut également à cette époque l'un des représentants de McGill au nouveau conseil municipal de Montréal.42 En 1946, à l'âge de soixante et onze ans, il prépara un rapport pour le service d'urbanisme sur la législation en urbanisme dans les provinces du Canada.

Le fil conducteur de la pensée de Nobbs, tant sur le plan urbanistique qu'architectural, demeurait l'idéal d'urbanité, "la tournure d'esprit qui rend tolérable la vie dans une grande agglomération."43 Mû par cet intérêt général pour la courtoisie urbaine, il était prêt à adopter une formule souple et fonctionnelle qui tenait judicieusement compte des ouvrages environnants, anciens et modernes, et mettait à l'œuvre sa propre créativité artistique. Sa connaissance du passé l'a convaincu que toute servitude à une école - romantique, classique ou moderniste - empêchait de découvrir la meilleure solution dans une conjoncture donnée. Par conséquent, il préconisait des règlements de contrôle visant principalement la salubrité et le bien-être, suffisamment souples toutefois pour permettre de résoudre les nouveaux problèmes avec de nouvelles solutions dans un monde en mutation. Sa foi dans la survie du plus fort, propre au XIXe siècle, l'amena à croire que les meilleurs designs finiraient par triompher, et son propre sens de la courtoisie lui fit espérer que les autres allaient le payer de retour. Malheureusement, le développement d'un Montréal qui n'a toujours pas de plan d'ensemble est encore aujourd'hui mû par le pouvoir de l'or plutôt que par la Règle d'or.

 

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APOSTILLES

1. Nobbs, «McGill University Disposition of Future Buildings». Le plan à main levée est conservé dans la CAC.

2. Ibid.

3. Nobbs, «The Sites of the University Buildings», McGill News 1 (juin 1920), pp. 2-5.

4. Ibid., p. 3. Un centre d'assemblée faisait également partie du plan de 1904 - situé provisoirement à l'angle sud-est du campus.

5. Ibid., p. 4. Malheureusement, le modèle n'existe plus. L'ensemble sportif a subi plusieurs modifications. Cet ensemble et le foyer des étudiants ont finalement été conçus par d'autres architectes.

6. À l'origine, le site de l'université d'Alberta faisait partie de la municipalité de Strathcona, fusionnée depuis avec Edmonton. Les renseignements sur le rôle que Nobbs y a joué proviennent des archives de l'université d'Alberta et de deux articles de Nobbs: «The General Scheme for the University of Alberta», et «Construction at the University of Alberta, Edmonton», Construction 14 (janv. 1921), pp. 3-12.

7. UASMB, 10 juin 1909.

8. Nobbs, «Construction at the University of Alberta», p. 3.

9. Nobbs, «Report on the General Allocation of Sites on the University Property at Strathcona, and a Recommendation as to the Position of the Proposed Arts Building». Rapport soumis à M. Tory, 20 août 1909, Tory Papers (dactylographié).

10. Les problèmes d'ensoleillement passionnaient Nobbs, et il a écrit un article, «Daylight in Buildings», American Architect 124 (4 juil. 1923), pp. 1-6 et 124 (août 1923), pp. 99-106.

11. UASMB, 7 sept. 1909 et 19 nov. 1909.

12. UABGMB, 21 févr. 1912.

13. Voir E.A. Corbett, Henry Marshall Tory Beloved Canadian (Toronto: Ryerson Press, 1954), p. 117. Corbett ne fait pas mention du rôle fondamental qu'a joué Nobbs dans la planification.

14. Nobbs, «The Late Frank Darling», Construction 16 (juin 1923), p. 205.

15. UABGMB, 3 mai 1912.

16. On trouvera les dessins originaux aux archives de l'université d'Alberta, et les dessins originaux du pavillon des Arts en pierre de Nobbs et le design de la sculpture aux Canadian Architectural Archives de Calgary. Une aquarelle du premier plan à tourelle en brique et en pierre est conservée dans la CAC.

17. UABG, mémorandum d'une réunion avec M. Frank Darling et M. Percy Nobbs, 22 août 1912.

18. Nobbs, «Construction at University of Alberta», p. 3.

19. UABG, mémorandum d'une réunion, 22 août 1912.

20. Lettre de Nobbs au UABG Building Committee, 11 avril 1913.

21. Nobbs, «Construction at University of Alberta», p. 12.

22. CAB 22 (mars 1908), p. 9.

23. «Our New Président - Professor Percy E. Nobbs», JTPIC 1 (déc. 1928), p. 133.

24. Godfrey L. Spragge, «Canadian Planners' Goals: Deep Roots and Fuzzy Thinking», Canadian Public Administration 18 (été 1975), p. 224.

25. Walter L. Creese, The Search For Environment. The Garden City: Before and After (New Haven: Yale University Press, 1966).

26. Voir Beattie, Révolution in London Housing.

27. Un dossier de la correspondance entre Nobbs et Unwin est conservé dans la CAC.

28. Nobbs, «On the Control of Architecture», JRAIC 5 (sept. 1928), p. 317.

29. Nobbs, «Montréal and Town Planning», supplément du McGill News 10 (déc. 1928), p. 13.

30. Nobbs faisait référence à Robert Adam (1728-92), le célèbre architecte écossais, renommé non seulement pour sa planification et son architecture, mais aussi pour ses brillants intérieurs. Karl Ivanovich Rossi (1775-1849) devint le plus important architecte et planificateur à Saint-Pétersbourg après 1816.

31. Nobbs, «City Planning», Canadian Municipal Journal 7 (avr. 1911), p. 140.

32. Nobbs, «The Officiai Architecture of European Capitals», p. 40.

33. Nobbs [Gargoyle II], «Montréal Notes», CAB 17 (août 1904), p. 126.

34. Nobbs [Concordia Salus], «Montréal Notes», CAB 18 (janv. 1905), p. 9.

35. «Our New Président - Professor Percy E. Nobbs», p. 133.

36. Nobbs, «The Town Planning Movement in Montréal», Municipal Review of Canada 22 (mai 1926), p. 162.

37. Nobbs, «Town Planning and Zoning in Québec», Municipal Review of Canada 27 (août 1931), p. 16.

38. Nobbs, «The Subdivision of Residential Suburban Property», JTPIC 5 (avr. 1926), p. 10.

39. Nobbs, «Montréal and Town Planning», p. 14.

40. Nobbs, «A Metropolitan System of Waterside Parks for Montréal», (MS inédit, nov. 1934). CAC.

41. Les plans et le rapport sont conservés dans la CAC.

42. AUM 10, p. 63 (Montréal Star, 8 nov. 1940).

43. Nobbs, «Montréal and Town Planning», p. 14.

 

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