par Susan Wagg

Table des Matières

Remerciements

Avant-propos

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Notes biographiques

Abréviations et Notes

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1 SA JEUNESSE ET SA FORMATION

À peine Percy Nobbs avait-il mis pied à terre à Montréal par un beau matin ensoleillé de septembre 1903 qu'il s'intéressait déjà à la physionomie architecturale de la ville. L'architecte de vingt-huit ans jugea quelques bâtiments valables, en trouva de très rares extrêmement beaux, mais en général, les rues de Montréal étaient bordées, à son avis, de bâtiments "sans qualité ni beauté, et rarement pratiques." Cette dernière réflexion s'adressait aux maisons en rangée, construites par les entrepreneurs à la fin de l'époque victorienne, que Nobbs qualifiait "d'outrages à la menuiserie" et "d'horreurs en zinc". Il jugeait avec encore plus de sévérité la multitude de maisons individuelles parées de pierre en façade et revêtues de brique sur les côtés et à l'arrière. Un examen plus poussé lui révéla toutefois que les anciens constructeurs avaient créé deux excellentes traditions locales: l'une en pierre grise discrète - parfois plutôt sobre ou d'une légère saveur française, l'autre en brique agrémentée de volets verts et de cadres de fenêtres blancs. Ces sages traditions d'autrefois, avait-il noté, étaient de celles "que l'architecte doit assimiler s'il veut produire une œuvre bien intégrée à son milieu."1

Sa formation architecturale et son éducation ont engendré chez lui le désir de créer une architecture locale et un sens profond du contexte urbain et de l'esthétique. Né dans la-maison de sa mère à Haddington en Ecosse le 11 août 1875, il passa une bonne partie de son enfance dans la munificence néo-classique de Saint-Pétersbourg en Russie, où son père était employé à la St. Petersburg Commercial Joint Stock Bank.2 L'équilibre superbe des bâtiments et des rues et l'ingénieux plan d'ensemble de la capitale russe restèrent à jamais gravés dans sa mémoire.3 À douze ans, Nobbs retourna en Ecosse pour entrer à la Edinburgh Collégiale School et il habita cette ville écossaise jusqu'à la fin de ses études supérieures et de son apprentissage en architecture. À Edimbourg, un urbanisme et une architecture classiques et d'authentiques ouvrages médiévaux se côtoyaient dans l'un des cadres les plus pittoresques au monde. Après avoir terminé sa maîtrise en Arts à l'université d'Edimbourg en 1896, Nobbs fit un stage chez Robert Lorimer (1864-1929), qui allait devenir l'un des architectes les plus en vue de son pays au début du XXe siècle, et a finalement reçu le titre de Chevalier.4 Traditionnaliste romantique, il est souvent appelé le Lutyens d'Ecosse.5 Son œuvre, surtout des manoirs, manifestait une sous-école écossaise de la philosophie des Arts et Métiers qu'avait lancée William Morris. À l'instar de Morris, pour qui il éprouvait une vive admiration, Lorimer était d'avis que les bâtiments devaient sembler surgir du sol environnant, et pour ce faire, il fallait utiliser l'artisanat, les traditions et les matériaux locaux. Issu de la renaissance gothique, le mouvement des Arts et Métiers représentait essentiellement une réaction humaniste aux effets dévastateurs de l'industrialisme du XIXe siècle. Les tenants du mouvement voulaient épurer et améliorer l'architecture et le design en revenant à l'essentiel, fondé sur les méthodes de travail rationnelles et éprouvées des anciens constructeurs et artisans. Ils espéraient ainsi créer les assises d'un design pratique et moderne; et en effet, les architectes les plus progressistes du mouvement des Arts et Métiers ont atteint un fonctionnalisme pré-moderne en harmonie avec l'environnement.6

Comme le mouvement des Arts et Métiers favorisait l'individualité, il permettait une grande variété de formules et de points de vue. Lorimer et Nobbs fuyaient les coulisses excentriques et superficielles du mouvement.7 Enseigner la nature des choses et leur mode de fabrication (principe fondamental de Morris) était, comme Nobbs l'écrivit plus tard dans un journal canadien, "la seule formule d'une quelconque utilité lorsqu'il s'agit de former de très jeunes gens en architectes acceptables, surtout dans un pays comparativement jeune et dans une période d'intense créativité technique."8 Outre la formation en architecture et en arts décoratifs qu'il recevait de Lorimer, Nobbs suivait des cours à la Edinburgh School of Art, à la School of Applied Arts de Rowand Anderson et au Heriot Watt Collège. Il fit également de rapides progrès au pinceau et à la plume en étudiant avec le peintre paysagiste W. D. Mckay, secrétaire de la Royal Scottish Academy.9

Après avoir terminé son stage en 1900, Nobbs passa ses examens de membre adhérent au Royal Institute of British Architects (R.I.B.A.) et mérita le prix Tite pour le design d'un campanile néo-baroque (fig. 2), style très en vogue à l'époque. À l'automne de la même année, il voyagea six mois en Europe continentale, le prix Tite lui permettant d'étudier l'architecture et l'ornementation de l'Italie du Nord. En compagnie d'un autre jeune architecte d'Edimbourg, Ramsay Traquair, qui lui succédera comme professeur titulaire de la chaire Macdonald de la faculté d'architecture de McGill, Nobbs visita Milan, Vérone, Venise, Ravenne et Florence - itinéraire que les œuvres de G. E. Street et John Ruskin avaient rendu presque obligatoire.10 Les croquis à l'aquarelle d'ouvrages en marbre et de mosaïques exécutés pendant son voyage l'ont aidé à gagner un second prix d'importance, offert par le Royal Institute of British Architects: le Owen Jones Studentship de 1902 pour les mosaïques intérieures d'une église.11

Après son retour d'Europe en 1901, Nobbs déménagea à Londres afin de profiter des débouchés qu'offrait la capitale. Il joignit d'abord le London County Council (L.C.C.) Architect's Department, siège du design le plus progressiste de l'époque.12 Le L.C.C. prit une place proéminente dans de nombreux projets d'aménagement urbain réalisés au cours de l'époque édouardienne. Notons que les deux plus importantes philosophies architecturales en Angleterre à cette époque ont pu s'exprimer sous les auspices du conseil: un urbanisme et une architecture nobles inspirés des Beaux-Arts, qui aspiraient à transformer Londres en une capitale impériale rivale du Paris de Napoléon III, et un ensemble d'ouvrages tout à fait différents issus du socialisme et visant à améliorer les conditions de vie des pauvres de la ville. Parmi ces derniers ouvrages, l'on compte certains des bâtiments les plus accueillants de l'âge industriel. On en avait parachevé deux remarquables exemples pendant que Nobbs vivait à Londres: le célèbre Milbank Estate (1897-1902), un immeuble d'habitation pour la classe ouvrière, et le poste d'incendie Euston Road (1901-02). Leur conception présentait un caractère domestique sans prétention destiné à humaniser les quartiers urbains.

Nobbs a travaillé pour le L.C.C. au service des incendies, dont Owen Fleming et Charles Winmill venaient de prendre la charge. Ces deux idéalistes, tenants du mouvement des Arts et Métiers, avaient auparavant inspiré le service de l'Habitation par leur enthousiasme pour l'architecture de Philip Webb, ami intime et associé de Morris. Nobbs écrit seulement qu'il a eu la charge du bureau central du L.C.C. à Spring Gardens (près de Trafalgar Square), où il réalisa un grand nombre de rénovations complexes et des quantités de réaménagements."13 Néanmoins, ses œuvres ultérieures au Canada traduisaient cette expérience: son architecture sans prétention à la manière de Webb, et l'intérêt qu'il porta toute sa vie à l'habitation à prix modique, à l'aménagement des quartiers insalubres et à la planification urbaine et régionale.

Après avoir travaillé pour le L.C.C., Nobbs fut premier assistant chez A. Hessell Tiltman (1854-1910), prospère architecte londonien spécialisé dans les commandes municipales. Tiltman dirigeait un gros bureau très affairé dont la survie dépendait des concours, et imposait un rythme de production qui déplaisait à Nobbs. Il travailla ensuite sur les projets de concours de différents bureaux; il compta parmi ses clients John Belcher, l'un des maîtres du néo-baroque édouardien, et Walter Tapper, un ami intime de Lorimer.14 Nobbs contribua au design que présenta Tapper pour le concours de la cathédrale de Liverpool. Encouragé par Lorimer, toutefois, il décida d'abandonner ce type d'emploi et de ne plus dessiner qu'à son compte.15 Le 10 juin 1903, muni d'une recommandation de Gerald Baldwin Brown, professeur des beaux-arts à l'université d'Edimbourg, il rencontra William Peterson, principal de McGill, qui effectuait sa visite annuelle en Europe.16 Peterson offrit à Nobbs la chaire Macdonald de la faculté d'architecture. Il fut le deuxième directeur de cette école qui, établie en 1896, était l'un des pionniers de l'enseignement universitaire en architecture.

 

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APOSTILLES

1. Nobbs [Gargoyle], «Montréal Letter», CAB 17 (avr. 1904), p. 73. Par l'analyse du contexte et du style, l'auteur a été en mesure de reconnaître en Nobbs l'auteur des articles signés d'un pseudonyme.

2. Dans un manuscrit inédit «Those Russians», aujourd'hui conservé dans la CAC, Nobbs a découvert que ses ancêtres paternels s'étaient établis en Russie peu après Waterloo.

3. Nobbs, «The Officiai Architecture of European Capitals», CAB 19 (mars 1906), p. 39.

4. La toute dernière étude exhaustive sur Lorimer est de Peter Savage, Lorimer and the Edinburgh Craft Designers (Edinburgh: Paul Harris, 1980).

5. Sir Edwin Lutyens (1869-1944) était le plus grand architecte anglais de la première moitié du XXe siècle, célèbre surtout pour ses maisons de campagne.

6. Morris se basait évidemment sur l'œuvre de deux importants précurseurs, A.W.N. Pugin (1812-52) et John Ruskin (1819-1900), dont les écrits influents mettaient l'accent sur la relation entre l'architecture et la société. Pour l'histoire du mouvement des Arts et Métiers, voir Peter Davey, Architecture of the Arts and Crafts Movement (New York: Rizzoli, 1980); Hermann Muthesius, The English House, trad. Janet Seligman (New York: Rizzoli, 1979); et Gillian Naylor, The Arts and Crafts Movement (Cambridge, Mass.: M.I.T. Press, 1971).

7. Nobbs, «Ramsay Traquair, Hon. M. A. (McGill) F.R.I.B.A. On His Retirement from the Macdonald Chair in Architecture at McGill University», JRAIC 16 (juin 1939), p. 147.

8. Ibid.

9. RIBA Library, Recommendations... of Associates, 1900, n° 105; RIBA Library, Recommendations... of Fellows, 1909, n° 1430; et CAB 16 (oct. 1903), p. 159.

10. The Stones of Venice (1851-53) de Ruskin et Brick and Marble Architecture of the Middle Ages: Notes of a Tour in the North of Italy (1855) de Street ont amené un intérêt pour l'architecture gothique de l'Italie du Nord et pour l'emploi de la couleur en architecture.

11. Nobbs a parlé de ce voyage dans «Why Go We to Italy», The Builders Journal and Architectural Record, n° 320 (mars 1901), p. 130.

12. Pour deux excellentes études sur le service d'architecture du L.C.C. vers 1900, voir Susan Beattie, A Révolution in London Housing (London: Greater London Council in association with The Architectural Press, 1980) et Andrew Saint, Richard Norman Shaw (New Haven: Yale University Press, 1976).

13. Lettre de Nobbs à Peterson, 24 nov. 1903, APR Il y avait eu un concours pour le County Hall à Lambeth en 1907.

14. C. H. Reilly rapporte que Nobbs a travaillé pour le bureau de Belcher dans Représentative British Architects of the Présent Day (1931; réimpr. Freeport, N.Y.: Books for Libraries Press, 1967), p. 30. Nobbs fait mention de son association avec Tiltman et Tapper dans «Compétition Reform», JRAIC 12 (sept. 1935), p. 150.

15. Nobbs, «Compétition Reform», p. 150.

16. John Bland, «The Architect of the First Osler Library: Percy Erskine Nobbs», OsLer Library Newsletter (juin 1973), n.p.

 

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